Artiste : FREAKS freearchitects / Période : Avril 2015 / Lieu : Palais de Tokyo / Projet in situ / Commissariat : Jean-Christophe Arcos / Production : Palais de Tokyo – DoDisturb (commissaire générale : Vittoria Matarrese) ///
S’embarrassant peu des frontières établies entre le sérieux du bâti et le ludique de l’intervention artistique, les trois architectes utilisent chaque playground comme un nouveau champ où réflexion critique et jouabilité peuvent s’amalgamer. Deux bains – révélateur et fixateur – pour donner de l’architecture une vision stéréo.
Il s’agit bien de rendre manifeste ce qu’une architecture peut raconter.
Premier acte : prendre la mesure. Répercuter les cotations du bâtiment d’Oscar Niemeyer place du Colonel Fabien (Sur-Mesure, 2011) par des stickers traversant la façade, de haut en bas, de gauche à droite (le bâtiment comme métronome factuel, énonçant platement sa hauteur et sa largeur dans une tentative de délimiter sa monumentalité, de se cantonner à un dessin).
Deuxième acte : mettre en lumière l’abstraction. Passer aux rayons X la gypsothèque du Château de Versailles, ses statues grandiloquentes à la gestuelle triomphale, au triomphe désuet, au moyen de lasers de chantier. L’âge classique rabattu sur le nombre d’or, le nombre d’or rabattu sur un nombre simple, le nombre simple rabattu sur un faisceau de discothèque.
Troisième acte : faire entrer la ménagerie. Si l’architecture est le plus politique de tous les arts, et si l’homme est le plus politique de tous les animaux, l’architecture, c’est pour les animaux. Les perroquets (AraParaPanorama, 2014), les licornes (Edma, 2013), les lévriers (Napoléon Flat, 2012), et puis veaux, vaches, cochons (Ferme du Zoo de Strasbourg, concours remporté en 2011).
En 2015, poursuivant leur réflexion critique sur la standardisation des normes et l’idéologie de l’échelle parfaite, ils réalisent et produisent avec Patox le film Modulor, qui voit une personne de grande taille et une personne de petite taille évoluer dans un appartement de l’Unité d’Habitation que Le Corbusier a réalisé à Marseille : archétype du modernisme, le principe du modulor, qui définit les échelles justes d’une habitation, est confronté à son incapacité à s’adapter aux physiques non standards.
Pour les 3 jours du Palais de Tokyo, FREAKS propose de modifier les échelles d’espaces anonymes (escaliers, toilettes, canapés) à l’aide de matériaux de chantier, également anonymes, pour désajuster les usages habituels, démasquant le prototype du visiteur lambda en le confrontant à sa propre norme.
Sur l’ensemble des escaliers droits de l’édifice, des bastaings créent une demi-marche supplémentaire à chaque marche, modifiant l’échelle de tout l’escalier et perturbant le rythme normé des pas ; dans une des cabines de toilettes (niveau 0 ou niveau -1), un faux sol en brique surélève les pieds des usagers ; les mobiliers de l’espace de documentation du niveau 0 sont quant à eux rehaussés de la hauteur d’un ou deux parpaings.
Enfin, au niveau le plus bas du bâtiment, le film MODULOR est projeté en continu sur grand écran.
En proposant une intervention aussi spectaculaire qu’inframince, FREAKS crée les conditions d’une performance à l’échelle de tout un bâtiment.
C’est alors l’ensemble des visiteurs qui, activant les modifications imposées au site, deviennent performers, renversant sans s’en rendre compte la hiérarchie normée entre le spectateur et le spectacle.
MODULOR
Tourné dans l’Unité Radieuse à Marseille durant l’été 2014, ce film s’intitule simplement “Modulor”. Toutes les séquences ont été tournées chez un particulier dans l’appartement 64 (vide de tout meuble et accessoire), en U, de type descendant, situé du côté sud (petit côté).
Ce court-métrage prend la forme d’une micro-fiction qui propose de mettre l’accent sur les questions d’échelle et de standardisation/normalisation du logement.
Pour ce faire nous avons fait appel à deux acteurs “atypiques” : une personne de grande taille (2,15m) et une personne de petite taille (1,30m), qui par leurs actions ou leur simple déambulation à travers les espaces permettent de révéler les contradictions et les limites de la volonté d’avoir un être humain normé, parfait, générique… Nous avons appliqué un protocole de fabrication des images très stricte : toutes les séquences avec acteur sont filmées à la hauteur des yeux du Modulor et les séquences vides aux hauteurs basses et hautes des yeux des deux protagonistes offrant des angles de vue pour le moins déroutant sur des fragments du logement devenus mythiques comme la double hauteur du salon, les chambres des enfants ou encore le meuble-cuisine de Charlotte Perriand.
(Réalisé et produit par FREAKS freearchitects & Patox / 2015 /acteurs : Jean-Yves Tual et Brahim Ahmadouche)
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