Artistes : Anna Raczynska · Léonie Young / Période : novembre 2017 > janvier 2018 / Lieu : la malterie @ Le Carré, Lille / Commissariat : Jean-Christophe Arcos / Production : la malterie
Give me a place to stand rend compte d’une résidence croisée : celle que Léonie Young a réalisée à Wroclaw en 2016, alors que la ville polonaise était Capitale européenne de la culture, et celle qu’Anna Raczynska a effectuée à Lille en 2017.
Elle est ainsi le fruit d’un partenariat, entre deux structures, le BWA-Wroclaw et la malterie à Lille, et d’un dialogue entre deux artistes qui se sont détachées de leur lieu habituel de production et de vie pour explorer les spécificités de contextes autres, sur lesquels elles ont pu porter un regard neuf.
Il s’agit bien de porter le regard : Léonie Young, utilisant principalement dans son travail le médium photographique, prélève ce qui lui saute aux yeux. En le découpant, elle recompose, à partir de cette matière première constituée de singularités frappantes, la cartographie subjective des espaces traversés.
Marqués par l’absence, ces lieux, ou ces non lieux, se révèlent dans leur nudité comme autant de portraits d’une ville étrange parce qu’étrangère.
S’y mêlent les traces d’une utopie déjà dépassée, oscillant entre l’espoir d’un futur technologique radieux et la cruauté d’un parc de loisirs vidé de ses visiteurs : le Futuroscope que Léonie Young nous propose reflète dans les vitres de ses buildings la vacuité d’un fun révolu et de ses alentours retournés.
Confrontée, en même temps qu’à de nouveaux lieux, à de nouveaux objets – par exemple les clefs de son appartement lillois et de son atelier à la malterie, possessions temporaires -, Anna Raczynska tisse entre eux un récit imagé : le mythe français se réduit à une fantasque Tour Eiffel de baguettes que les pigeons, dans leur tourisme affairé, ne prennent pas même le temps de picorer ; le modèle réduit en kit d’un Tupolev, chiné à la Braderie, prend des dimensions disproportionnées ; une haie s’hybride en grille vidéosurveillée…
L’exposition devient le théâtre intrigant de microfictions liées à la résidence elle-même, dans un processus d’éloignement et de rapprochement combinant, comme dans Alice au pays des merveilles, des échelles incompatibles. Échappatoires et enfermements se font écho pour en souligner la liberté et les contraintes.
En résidence : le terme évoque l’habiter.
En quelque sorte, l’artiste en résidence se trouve une demeure. La résidence est une façon d’habiter l’errance qui sans cesse recompose l’assemblage entre un corps, un lieu et une action.
Il y a alors accélération des histoires : qu’elle soit de quelques jours ou de plus d’un an, la résidence libère les énergies, exacerbe les désirs, courbe le temps. L’entropie et le tropisme se font face et se mêlent pour générer les conditions d’une immersion rapide, la tête la première. Dans le même temps, l’étrangèreté permet de prendre de la hauteur, de saisir d’un regard les (dys)fonctionnements locaux… En tout cas, il y a lieu d’exploiter et de scruter les rapports entre territoire et création, entre buller et plonger.
La dualité entre superficialité et surplomb s’efface. Il s’agit de flotter tout en prenant racine – on pourrait appeler ça une double contrainte, ou une double appartenance, ici et ailleurs à la fois. Une traversée – comme celle que Poliphile entreprit pour sortir de la forêt merveilleuse où un beau matin il se réveilla, pour, par-delà la clôture, se promener seul au monde dans un champ de ruines gigantesques parsemant un paysage radicalement nouveau.
De cette combinatoire entre une liberté sans attachement, qui permet de survoler l’espace, de le zoomer et de le dézoomer, d’y découper les morceaux sur lesquels s’attarder, et l’injonction à produire de nouvelles pièces pour conclure la résidence, en beauté, par une exposition, naît le sentiment ambivalent d’un devoir d’être au monde et d’un désir de s’y arracher.
La résidence devient alors le lieu d’un face à face solitaire entre l’artiste et une terre inconnue, dont l’incongruité et les détails se révèlent avec acuité, comme dans un rêve.
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