Artiste : Jean-Charles de Quillacq / Période : Avril 2016 / Lieu : Palais de Tokyo / Performance / Commissariat : Jean-Christophe Arcos / Production : Palais de Tokyo – DoDisturb (commissaire générale : Vittoria Matarrese) ///
Trois jours durant, l’artiste est là, les mains plâtrées, immobiles, refermées sur le manche d’un aspirateur qui fait corps avec celui de l’artiste. Handicapé volontaire, nécessairement assisté, il entreprend un geste vain et démesuré : la domestication du Palais de Tokyo par un aliéné.
La multiplication de doubles interchangeables, la prolifération artificielle des prothèses, les divisions sans fin dans le travestissement et la dissemblance à soi comme la recherche d’un auto-engendrement, constituent les axes majeurs de la pratique de Jean-Charles de Quillacq ici à l’œuvre.
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Il est difficile de savoir si la transformation de Daphné en laurier, alors qu’elle est poursuivie par Apollon, représente un sauvetage in extremis ou une condamnation à l’immuabilité. Ses bras, devenus rameaux, couronnent, coupés, les vainqueurs. Le Bernin fige cette altération : indéfiniment, le laurier prolongera la main. Peut-être serait-il vain de trancher : Daphné est autant perdue que secourue.
Pendant l’intégralité de Do Disturb, Jean-Charles de Quillacq prend cette posture double à son compte : trois jours durant, il déambule dans l’espace du Palais de Tokyo, ses mains plâtrées, immobiles, refermées sur le manche d’un aspirateur qui fait corps avec celui de l’artiste.
Le manche d’aspirateur prolonge aussi bien une imagerie pop incorporée de façon symbolique par l’art (Allan Kaprow, Jeff Koons ou… Freddie Mercury) que le travail de sculpture de Jean-Charles de Quillacq, manifesté dans un système de tubulures détumescentes confrontant l’érection post-coitum aux circonvolutions intestinales – l’apothéose au gargouillis.
Les mains, liées, répètent le sort des pieds d’Œdipe tout en l’amplifiant d’une autre cécité, celle de l’agir : à la merci d’une assistance permanente pour se vêtir, se nourrir, se désaltérer, se soulager, l’artiste est renvoyé à un corps infantile qui laisse émerger, de façon implicite, des rapports de pouvoir entre lui et son auxiliaire (le commissaire), autant qu’il les retourne. Comme les deux mains, comme le corps au manche, l’artiste et le commissaire sont attachés.
La différenciation entre le corps et son étranger ne peut être revendiquée ni déterminée : la prothèse est contagieuse, elle gagne l’ensemble des comportements de l’artiste, réduit alors à un ensemble de fonctions qu’il ne peut assumer seul.
De la même façon que Moby Dick incarne le capitaine Achab, comme on le dirait d’un ongle incarné, la confusion entretenue entre le corps individualisé de l’artiste et tout l’appareillage extérieur qui contribue à sa fonction (œuvre, pratique, institution, commissaire) poursuit et saisit ici un mouvement indéterminé et anthropophage, où le corps contraint cherche à devenir sa prothèse.
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